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Novembre 2018 – La fiducie familiale : Une structure essentielle pour de nombreuses entreprises

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Novembre 2018 – La fiducie familiale : Une structure…

Une fiducie est un concept qui nous vient du moyen-âge et qui est repris dans le Code civil du Québec. Les fiducies ont beau avoir été inventées pour protéger les biens des chevaliers qui quittaient pour les croisades, elles conservent toute leur actualité pour les entrepreneurs en ce 21e siècle.

Par Mes Julie Hélène Tremblay et Alexandre Lacasse, avocats Réseau Fisconseils

Tout d’abord, une fiducie est une fiction juridique à l’effet qu’un patrimoine est « affecté » donc isolé, pour la prospérité des personnes pour qui cette affectation est faite. À la base, il y a donc un désir qu’un patrimoine soit créé pour une ou plusieurs personnes qui ont des intérêts communs, c’est-à-dire les bénéficiaires. Lorsque les bénéficiaires sont les membres d’une même famille, il s’agit alors d’une fiducie familiale.

L’opportunité de mettre en place une fiducie familiale doit être analysée pour toute entreprise qui commence à prospérer et qui se doit de protéger ses acquis pour ses actionnaires. Il s’avère qu’une telle fiducie peut également permettre de bénéficier d’économies d’impôt réelles lors d’une vente d’entreprise ou de reporter une partie de l’impôt autrement payable au décès d’un actionnaire important.

La création d’une fiducie familiale comme patrimoine distinct de tous

Pour qu’une fiducie soit créée, il y a un certain formalisme à respecter qui implique un minimum de trois personnes. Il doit d’abord y avoir un constituant qui fait un don manuel d’un bien d’une valeur relativement symbolique afin de constituer la base du patrimoine affecté qui devient celui de la fiducie. Cette donation doit être acceptée par au moins un fiduciaire. Le fiduciaire s’oblige ainsi, par le fait de son acceptation, à détenir le bien et administrer le patrimoine de la fiducie. Ce patrimoine est ainsi affecté au bénéfice d’une ou de plusieurs personnes : les bénéficiaires.

Les créanciers de la personne qui a effectué le don fiduciaire n’ont pas, en principe, accès aux biens de la fiducie. Il en est de même des créanciers des fiduciaires et des bénéficiaires.

Plus simplement, prenons un exemple : je désire donner un objet ou une somme d’une valeur importante, par exemple un lingot d’or, à mes enfants, mais je ne sais pas encore à quel enfant je veux le distribuer. J’offre donc en tant que constituant à un fiduciaire potentiel, qui n’est pas l’une des personnes que je veux avantager, d’accepter le don et de détenir le bien pendant un certain temps, en fiducie, pour le compte des bénéficiaires. Une fiducie est créée dès l’acceptation du bien (que je remets en mains propres) par le fiduciaire. Un acte de fiducie est rédigé pour constater les volontés et consentements exprimés, pour fixer les pouvoirs du fiduciaire, les droits des bénéficiaires et prévoir toute chose utile.

Les droits des bénéficiaires peuvent être fixés de manière très flexible. Par exemple, une large discrétion peut être accordée aux fiduciaires quant à la répartition des revenus et il est même possible d’assujettir cette discrétion aux termes d’un testament. Enfin, les règles applicables peuvent être différentes avant et après le décès d’un individu en particulier.

Il y a donc, aux fins du droit civil québécois, la création d’une fiducie par un tel don. Jusque-là, les règles ne sont pas démesurément complexes. Il importe toutefois que le bien ne soit pas confondu avec le patrimoine du fiduciaire ou des bénéficiaires et que tous respectent les termes de l’acte de fiducie.

En pratique, une fiducie est constituée par une personne de la famille de l’entrepreneur qui confie un bien à conserver par trio fiduciaire. Ce trio comprend normalement un fiduciaire indépendant accompagné de deux membres de la famille et les bénéficiaires sont tous les membres de la famille, à l’exclusion du constituant. Une fois la fiducie constituée, un emprunt est effectué pour souscrire à des actions d’une société privée qui exploite l’entreprise familiale et toute la prospérité ultérieure de l’entreprise se reflète dans la valeur de ces actions.

Une fois que la fiducie est légalement constituée, celle-ci a son propre patrimoine autonome et distinct. Elle peut acquérir des biens, emprunter de l’argent et exercer des activités. Celle-ci n’est pas responsable des dettes du constituant, des bénéficiaires ou des fiduciaires. Cette personnalité distincte fait en sorte qu’un créancier qui obtient un jugement personnellement contre une des personnes impliquées ne peut pas s’en prendre aux biens acquis ou transférés dans la fiducie.

Cet avantage peut être très intéressant pour les entrepreneurs qui exercent dans des domaines à risque (entrepreneur général, dentiste, médecin, etc.). Bien entendu, la fiducie ne peut être utilisée par une personne endettée pour se rendre insolvable pour ses dettes existantes ou rendre ineffective une réclamation en dommages ou en responsabilité civile connue au moment d’un don.

Au-delà de l’outil que représente la fiducie, il y a tout un ensemble de règles fiscales à connaître et à respecter afin de permettre au patrimoine d’une fiducie d’accumuler de la valeur pour ses bénéficiaires et de bénéficier,plus globalement, d’avantages fiscaux.

Les avantages fiscaux que peut procurer une fiducie familiale

Une entreprise est une organisation vivante qui doit s’adapter au changement et permettre de parer aux périodes d’investissement lors des périodes de prospérité. Elle doit donc pouvoir gérer ses liquidités de manière à ne pas les distribuer trop rapidement à ses actionnaires ultimes (des particuliers), qui malgré leur dévouement ne pourraient pas lui prêter la totalité de ces fonds à nouveau, vu l’impôt payé en passant.

Une fiducie permet également de distribuer des dividendes à des membres de la famille.

D’autre part, dans la vie d’un entrepreneur, il peut venir un temps où un regard vers le futur implique de cesser d’accumuler de la plus-value personnellement et de prévoir la relève de l’entreprise. Il peut même arriver que la relève provienne de l’extérieur de la famille ou que l’entreprise doive être vendue à des intérêts tiers, afin d’assurer la prospérité de la famille.

Faciliter le transfert des dividendes d’une société à l’autre de l’organigramme de l’entreprise

Normalement, pour qu’une société puisse recevoir les profits d’une autre société du même groupe, elle doit en être actionnaire. Dans un tel cas, une société gagne un revenu, paie ses impôts sur ses profits (à un taux variant de 14 à 26,70% pour 2018) et verse un dividende avec ce qu’il lui reste de ses profits à la société actionnaire.

La société qui reçoit le dividende n’a alors pas à s’imposer sur le dividende.

Toutefois, il y a un hic! Ce hic, c’est l’impôt temporaire sur les dividendes. Cet impôt est notamment applicable lorsqu’une société reçoit un dividende d’une société dont « elle n’est pas rattachée » ou qui a elle-même un compte d’impôt payé sur ses dividendes. Ouf! En fait, lorsque cet impôt est applicable, les liquidités restantes pour les sociétés après un dividende inter sociétés sont à peu près équivalentes à ce qu’il resterait d’argent si un particulier qui est actionnaire avait reçu le dividende.

Sans s’étendre sur le concept de « sociétés rattachées », il y a deux types de rattachement possibles :

  1. Lorsqu’une société est contrôlée par l’autre, ce qui est réputé être le cas « si plus de 50 % des actions émises de son capital-actions (comportant plein droit de vote en toutes circonstances) appartiennent à l’autre société, à des personnes avec lesquelles cette autre société a un lien de dépendance ou à la fois à l’autre société et à des personnes avec lesquelles l’autre société a un lien de dépendance »; ou
  2. La détention directe de plus de 10% d’actions votantes et participantes (actions ordinaires).

Par un jeu de présomptions complexes, sauf s’il y a détention directe d’actions par la société qui reçoit le dividende, une fiducie bien placée dans l’organigramme de l’entreprise permet de transférer des dividendes à la société de gestion sans voir l’impôt temporaire sur les dividendes s’appliquer.

Distribuer le revenu entre les membres de la famille et payer globalement moins d’impôt

La possibilité de fractionner simplement le revenu à l’intérieur d’une même famille a été écartée en 1971 lors de la dernière grande réforme canadienne de l’impôt sur le revenu.

Toutefois, c’était possible jusqu’en 2000 de faire souscrire des actions aux membres de la famille et de fractionner l’impôt sur les dividendes. À ce moment, les mineurs ont été visés par des règles d’imposition au taux maximum (impôt sur le revenu fractionné), sauf pour certains biens reçus en héritage et les inévitables échappatoires découlant de la complexité des règles.

Depuis le 1er janvier 2018, les règles d’impôt sur le revenu fractionné ont été modifiées afin de restreindre le fractionnement du revenu familial entre les individus d’une même famille. Ces règles, mises en place dans le but de favoriser la classe moyenne (qui n’est pas en affaire) prévoient un imposant jeu de règles qu’il faut appliquer afin de déterminer si l’impôt sur le revenu fractionné est applicable. Bien que les règles n’aient pas beaucoup changé en ce qui concerne les mineurs, il y a des règles différentes applicables selon que le majeur travaille en moyenne 20 heures par semaine pour l’entreprise ou y apporte une contribution significative, qu’il ait dépassé l’âge de 25 ans ou non, que les actions soient détenues directement ou pas, que la règle refuge (ou le “safe harbour rule” si vous préférez) s’applique ou au final que le dividende constitue un rendement raisonnable sur un capital « indépendant ». Des heures de plaisir, mais pas nécessairement une porte fermée aux dividendes à des membres de la famille provenant soit d’actions détenues directement ou détenues par l’intermédiaire d’une fiducie familiale.

Les entrepreneurs qui ont mis en place des fiducies entre autres pour faire du fractionnement de revenu ont intérêt à procéder à l’analyse de leur structure d’entreprise. Les conclusions de telles analyses dicteront les changements à effectuer ou non.

Transférer de la plus-value future aux enfants et minimiser l’impôt au décès

Au Canada, il n’y a pas de droits successoraux, mais il y a la disposition réputée au décès de tous les biens qui sont susceptibles de générer un gain en capital. Ainsi, lorsqu’un individu ne dispose que d’un compte bancaire de 1 000 100$, il n’a pas de plus-value accumulée le jour de son décès et donc pas d’impôt à payer à ce titre. Cependant, pour un actionnaire qui détient des actions ayant une valeur de 1 000 100$ qui ne lui ont coûté que 100$, sa succession doit normalement ajouter 500 000$ de gain en capital imposable dans sa déclaration de revenus pour l’année de son décès.

S’imposer pour le gain d’une vie dans une seule année d’imposition peut être énorme pour une succession. L’un des avantages d’une fiducie familiale est justement que la fiducie ne meurt pas, du moins pas n’importe quand. En effet, pour que les règles soient équitables, il est prévu qu’une fiducie est réputée disposer de ses biens à chaque fois le jour de son 21e anniversaire. C’est comme un décès, mais seulement pour les effets. Ainsi, une fiducie peut avoir plusieurs 21e anniversaires, elle continue d’exister après l’application de cette disposition. Si la fiducie n’a pas de plus-value accumulée à son 21e anniversaire, elle n’a alors pas d’impôt à payer. Plusieurs stratégies peuvent être utilisées pour différer un impôt, mais dans l’ensemble, l’attribution de biens sans impact fiscal à un ou plusieurs bénéficiaires est la plus courante. L’impôt est alors payable le jour où ces bénéficiaires disposeront des biens qui leur ont été remis, ou au moment de leur propre décès.

Dans certaines situations, il est préférable que la valeur future s’accumule au profit de la famille et donc d’une fiducie familiale, plutôt que d’un seul ou d’un nombre limité d’individus. Cela permet également de faciliter l’acquisition de l’entreprise familiale par la génération suivante. Une telle opération est généralement désignée comme un « gel de la valeur » ou un « gel successoral ».

Une fiducie familiale est l’instrument parfait pour compléter un gel successoral. Par exemple, si une société par actions à une valeur de 1 000 000$, l’actionnaire peut « geler » cette valeur sous forme d’actions privilégiées. La valeur de la société étant gelée, la fiducie familiale peut souscrire à des actions participantes ordinaires (votantes ou non-votantes) pour une valeur relativement symbolique (par exemple 100$). Cela signifie qu’à partir de la date du gel, sous réserve des dividendes sur les actions privilégiées, la plus-value future de l’entreprise profite à la fiducie familiale. Cela a comme avantage que la succession paiera moins d’impôt au décès de l’actionnaire-dirigeant de l’entreprise puisque l’impôt sera calculé sur la valeur des actions au moment du gel (dans l’exemple, 1 000 000$). De ce fait, la fiducie ne paiera pas d’impôt au décès de l’actionnaire puisque la fiducie familiale n’est pas réputée disposer de ses actions au décès.

Assurer la relève de l’entreprise

La fiducie familiale est donc parfaite pour la relève d’entreprise puisqu’elle permet à l’actionnaire-dirigeant d’intégrer plus ou moins graduellement ses enfants qui sont bénéficiaires de la fiducie tout en conservant les droits de vote et donc le le contrôle sur la société et tout en conservant, à titre de fiduciaire ou autrement, la discrétion sur l’attribution des revenus de l’entreprise. De plus, la fiducie peut attribuer des actions, sans impact fiscal, aux enfants lorsque leur capacité de prendre efficacement le relais est avérée.

À défaut de passer l’entreprise à la famille, utiliser les comptes de déduction pour gain en capital

Il arrive que la relève familiale ne soit pas au rendez-vous et qu’il soit hasardeux de transmettre l’entreprise à l’intérieur de sa famille. Dans un tel cas, la solution est de maximiser la valeur de l’entreprise, de s’assurer de qualifier les actions pour la déduction pour gain en capital sur les actions admissibles de petite entreprise et de trouver un acheteur.

Chaque personne physique dispose d’un compte de déduction pour gain en capital de près de 875 000$ (866 912$ pour 2019, ce montant est indexé annuellement). Ce compte peut être utilisé pour réduire le gain en capital réalisé sur des actions admissibles d’une petite entreprise. L’avantage de détenir des actions admissibles d’une petite entreprise par l’intermédiaire d’une fiducie est de multiplier cette exonération avec chacun de des bénéficiaires qui y ont droit. De plus, puisque seulement 50% du gain est imposable, il n’est nécessaire d’attribuer que 50% du gain à un membre de la famille pour bénéficier de sa pleine exonération.

Les autres types de fiducies : de protection d’actifs, testamentaires et pour des fins particulières

Cet article porte essentiellement sur la fiducie familiale, il existe au moins trois autres types de fiducies intéressantes pour les gens en affaires.

Une fiducie de protection d’actifs peut soit être une fiducie familiale au bénéfice de plusieurs, soit une fiducie qu’une personne constitue pour elle-même (aussi appelée « fiducie pour soi »). Elle permet à une entreprise ou un individu de protéger ses actifs. Ainsi, une telle fiducie peut être créée. Pour une fiducie pour soi, un individu constitue une fiducie en étant à la fois son constituant, l’un des fiduciaires (il ne peut être seul), ainsi que l’unique bénéficiaire. Ceci lui permet de transférer ses biens à la fiducie sans impact fiscal. Étant l’unique bénéficiaire, il n’y a pas de disposition de ses biens ni de changement dans la « propriété effective » du bien.

Conclusion

Les fiducies familiales sont un outil important en matière de planification fiscale et même successorale. Bien que certains individus aient tendance à percevoir cet instrument juridique comme une méthode d’évitement fiscal, ces outils demeurent justement bien circonscrits par les lois fiscales afin qu’aucun avantage fiscal indu ne soit obtenu.

Les entreprises ont donc souvent avantage à intégrer cet instrument dans leur organigramme afin de pallier des contraintes fiscales et donc coûteuses qui n’ont pas nécessairement lieu d’être dans leur situation.

Les professionnels du Réseau Fisconseils maîtrisent ces outils et peuvent analyser le fonctionnement organique de chaque entreprise dans sa perspective globale afin de proposer des solutions de planification fiscale intégrée parfaites pour l’entreprise en cause.

[*] Le Réseau Fisconseils inc. est une étude juridique offrant une vaste gamme de services fiscaux et juridiques.

[*] Me Julie Hélène Tremblay du Réseau Fisconseils est membre de The Society of Trust and Estate Practitioners (STEP), qui est l’organisation internationale regroupant les professionnels des fiducies et successions. À ce titre, elle est autorisée à porter le titre de TEP (Trust and Estate Practitionner) et reconnue pour ses compétences dans ce domaine. Le Réseau Fisconseils inc. est une étude juridique offrant une vaste gamme de services fiscaux et juridiques.


L’information transmise dans ce texte ne constitue pas un avis juridique. Le présent texte est à titre informatif seulement. Notez qu’il s’agit de règles fiscales complexes et qu’il est nécessaire qu’un expert révise chaque situation. Bien que ce texte soit préparé avec soin, aucun des professionnels impliqués dans la rédaction de cet article n’accepte quelque responsabilité que ce soit découlant de cet article.

Photo par Andrii Podilnyk sur Unsplash.