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Bâtiment construit par une société sur le terrain de son actionnaire

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Bâtiment construit par une société sur le terrain de son actionnaire ultime (ou les tréfonds d’une relation superficiaire)

Quelles possibilités s’offrent à un actionnaire et à une société par actions qui veulent profiter d’une relation mutuellement bénéfique dans une situation où l’actionnaire est propriétaire d’un terrain et où la société par actions voudrait construire un bâtiment utilitaire? En pratique, ce genre de situation se produit souvent sans analyse fiscale a priori.

Dans un monde simple où les fleurs poussent allègrement, le parfum d’un bâtiment utilitaire commodément construit sur le terrain d’un actionnaire est sans conséquence, mais dans un monde où les règles de gain en capital, de revenu de bien et celles d’avantage à un actionnaire existent, il est moins simple et surtout plus hasardeux d’agir sans précaution.

Par Me Julie Hélène Tremblay, avocate, LL.B., M. Fisc., TEP et Me Mali Leclair-Vance, avocate

Plusieurs options juridiques s’offrent aux parties concernées. Une analyse des éléments doit alors être faite pour qualifier la relation juridique soit préalablement, soit a posteriori afin d’en déterminer les conséquences fiscales. Le but du présent texte est de traiter certains aspects juridiques et fiscaux, bien que beaucoup d’autres points puissent être davantage approfondis, tels les règles de common law applicables, les taxes à la consommation et l’amortissement des bâtiments.

Option 1 – La solution par défaut : le droit d’accession et le bail immobilier

Le droit d’accession en droit civil est prévu à l’article 948 du Code civil du Québec (« C.c.Q. »). Cet article édicte que la propriété d’un bien donne droit à ce qu’il produit et à ce qui s’unit, de façon naturelle ou artificielle, dès l’union.

Comment établir un droit d’accession? Par présomption. Ainsi, en vertu de l’article 955 C.c.Q., les constructions, ouvrages ou plantations sur un immeuble sont présumés avoir été faits par le propriétaire et lui appartenir. Or, le propriétaire d’un terrain sera par conséquence du droit d’accession également le propriétaire de tout bien qui s’unit à ce terrain. Donc, si la société fait construire un garage par le biais du droit d’accession, c’est le particulier qui devient ipso facto le propriétaire du garage en vertu de l’article 948 C.c.Q. Cette acquisition par présomption vient avec la charge de payer la plus-value apportée à sa propriété à la personne à l’origine de la construction, de l’ouvrage ou de la plantation.

D’un point de vue fiscal, du moment que la plus-value est remise à la société et que les principes retenus par les arrêts Youngman c. Canada, [1990] A.C.F. no 341, Fingold c. Canada, [1997] A.C.F. no 1250, et Arpeg Holdings Ltd. c. Canada, 2008 CAF 31, sont respectés, l’actionnaire n’a pas à inclure d’avantage imposable dans le calcul de son revenu.

D’autre part, en l’absence d’entente verbale ou de contrat écrit, il y a un bail présumé sur un bien immeuble lorsqu’une personne occupe les lieux avec la tolérance du propriétaire. N’étant pas défini, ce bail est à durée indéterminée et prend effet dès l’occupation avec un loyer correspondant à la valeur locative de l’immeuble. Ainsi, en droit civil autant qu’en droit fiscal, une présomption de location pour la valeur marchande est prévue.

Option 2 – L’exception à l’accession et au bail immobilier : la propriété superficiaire

La propriété superficiaire est, en droit civil, une modalité de la propriété expressément prévue au Code civil du Québec. La propriété superficiaire est définie par le Code civil comme étant celle des constructions, ouvrages ou plantations situés sur l’immeuble appartenant à une autre personne, le tréfoncier. Elle résulte de la division de l’objet du droit de propriété portant sur un immeuble, de la cession du droit d’accession ou de la renonciation au bénéfice de l’accession. La propriété superficiaire implique deux propriétaires : le propriétaire tréfoncier et le propriétaire superficiaire. Le propriétaire tréfoncier est, dans notre exemple, l’actionnaire relativement à son terrain vacant et le propriétaire superficiaire est celui qui est propriétaire du bâtiment, donc notre société par actions.

Puisque la propriété superficiaire est une modalité d’un droit de propriété, il est important de noter qu’en aucun cas un paiement au titre de la propriété superficiaire ne sera attribuable à un loyer. Si un terme relativement court est prévu, qu’un montant périodique est prévu pour toute la durée du terme et que des restrictions au droit de propriété superficiaire sont prévues, par exemple quant à l’indemnisation par le tréfoncier au propriétaire superficiaire, il y aura alors lieu de se questionner quant à savoir s’il ne s’agit pas plutôt d’un bail avec améliorations locatives.

La propriété superficiaire, étant une modalité du droit de propriété, est un droit réel. Ainsi, le propriétaire superficiaire aura droit d’hypothéquer et d’aliéner sa propriété superficiaire, ceci étant des droits fondamentaux à tout propriétaire d’un bien, quelle que soit sa modalité. Or, la société par actions qui désire construire son bâtiment sur le tréfonds profite de tels avantages qui ne lui seraient pas ouverts avec le bail avec améliorations locatives, un droit qualifié de droit personnel. Pour être opposable aux tiers, étant un droit réel immobilier, la propriété superficiaire doit faire l’objet d’une publicité au registre foncier, tel que l’exige l’article 2938 C.c.Q.

En vertu de l’article 1111 C.c.Q., le droit du propriétaire superficiaire à l’usage du tréfonds est réglé par la convention. Les parties doivent donc prévoir au contrat les conditions de partage de cette division de propriété. À défaut de telles stipulations, l’article 1111 C.c.Q. édicte que le tréfonds est grevé des servitudes nécessaires à l’exercice de ce droit. Ces servitudes s’éteignent lorsque le droit de propriété superficiaire prend fin. De plus, le superficiaire et le tréfoncier supportent les charges grevant ce qui fait l’objet de leurs droits de propriété respectifs. La propriété superficiaire est présumée perpétuelle, mais un terme peut être fixé par la convention qui établit la modalité superficiaire. Au moment de l’extinction du droit de propriété superficiaire, les règles d’accession retrouvent application; le tréfoncier acquiert par accession la propriété des constructions, ouvrages ou plantations à charge d’en payer la plus-value ou le montant prévu au contrat de propriété superficiaire. Ainsi, lorsqu’un terme est fixé, l’article 1116 C.c.Q. prévoit que le tréfoncier acquiert par accession les objets de la propriété superficiaire en payant la valeur au superficiaire. Si la valeur du tréfonds est moindre que celle des objets superficiaires, le superficiaire peut, à son choix, acquérir le tréfonds ou enlever ses objets à ses frais. S’il n’y a pas de terme, la propriété superficiaire est d’une durée illimitée et donc aucun paiement du tréfoncier ne va de soi.

D’un point de vue fiscal, si le droit de propriété superficiaire est consenti à la société, il s’agit de la disposition d’un droit sur le terrain ou d’une partie de celui-ci par l’actionnaire. Les parties ont intérêt à en établir la juste valeur marchande (« JVM »), mais en présence d’un lien de dépendance, les autorités fiscales pourront la réévaluer. Pour le tréfoncier, cette disposition pourra générer la réalisation d’un gain en capital. Ce transfert pourrait vraisemblablement dans certains cas faire l’objet d’un roulement pour l’actionnaire, s’il en fait le choix ou, si le tréfonds en cause est le terrain raisonnablement nécessaire à la jouissance de sa résidence principale, d’une exonération. Si des paiements périodiques sont effectués et que le terrain est une immobilisation pour l’actionnaire, il faudra normalement s’assurer qu’une provision pour gain en capital puisse être réclamée.

Si la propriété superficiaire vient à terme et que le tréfoncier-actionnaire redevient propriétaire du tout, c’est-à-dire le tréfonds et la superficie, en vertu des règles d’accession, c’est à charge de payer la plus-value au propriétaire superficiaire.

Par ailleurs, la société par actions est propriétaire des constructions faites pendant l’existence du droit superficiaire. La superficiaire pourra généralement réclamer une déduction pour amortissement pour le bâtiment qu’elle fait construire si celui-ci est un bien amortissable. Or, à la fin de la propriété superficiaire, la société par actions dispose de cette propriété et peut normalement être en mesure soit de réclamer une perte finale si aucune compensation n’est versée par le tréfoncier ou qu’elle enlève ses constructions, soit devoir s’imposer sur une récupération d’amortissement, soit toute autre conséquence fiscale découlant des faits en cause. Si la propriété superficiaire se termine par la confusion du droit tréfoncier et de la propriété superficiaire par un tiers-acquéreur, deux prix de vente sont alors fixés : un pour chacun des vendeurs.

Option 3 – La solution plus courante : le bail avec améliorations locatives

Un bail, aussi appelé contrat de louage, est, en vertu de l’article 1851 C.c.Q., le contrat par lequel une personne, le locateur, s’engage envers une autre personne, le locataire, à lui procurer, moyennant un loyer, la jouissance d’un bien, meuble ou immeuble, pendant un certain temps. Or, dans la situation envisagée ci-dessus, le locateur loue son terrain vacant au locataire pour une durée de temps qui peut être soit déterminée, soit indéterminée. À la lumière de la liberté contractuelle, le droit civil permet aux parties à ce contrat de louage de déterminer la durée de ce bail qui peut à leur guise être plus ou moins longue et prévoir ou non ce qu’il advient des améliorations locatives.

Le droit de louage est qualifié de droit personnel. En effet, le locataire n’a aucun droit réel sur l’immeuble qu’il loue. N’ayant aucun droit de propriété sur l’immeuble, le locataire a l’obligation de ne pas changer la forme ou la destination du bien loué. À la fin du bail, le locataire est tenu de remettre le bien dans l’état où il l’a reçu et il est tenu d’enlever les constructions, ouvrages ou plantations qu’il a faits. Ces règles qui sont dictées par le Code civil du Québec sont supplétives et les parties au contrat de louage peuvent y déroger. Ainsi, le locataire qui est la société par actions peut être autorisé par l’actionnaire-locateur à apporter des améliorations locatives au terrain. Par contre, à la fin du bail, ce qu’il reste des améliorations qui ne sont pas enlevées devient la propriété du locateur-actionnaire, soit en vertu des règles d’accession, soit en vertu du bail, soit en vertu d’une nouvelle entente.

Le bail avec améliorations locatives est une option simple en termes de droit civil parce que peu de formalités sont nécessaires. Un simple contrat suffit entre les parties. Ce contrat peut être verbal, mais il reste plus intéressant de documenter la transaction et de s’assurer que la société ne confère pas un avantage à son actionnaire en vertu du bail. De plus, aucune publication au registre foncier n’est nécessaire.

À la lumière du droit fiscal, le locateur-actionnaire bénéficie d’un loyer. D’abord, la caractéristique principale de ce revenu est de tirer du revenu de location. Or, pour le locateur-actionnaire, ce revenu de bien doit être inclus dans son revenu de l’année.

Les améliorations sur le terrain du locateur peuvent impliquer des incidences fiscales au moment où le bail est signé ou au moment où le bail prend fin. Dans un tel cas, il est important de prévoir l’obligation du locataire de reprendre ses améliorations et la possibilité du locateur de payer à son locataire une indemnité pour devenir propriétaire du bâtiment pour le compenser au moins du montant de la plus-value dont bénéficie la propriété dans son ensemble.

En ce qui concerne le locataire, c’est-à-dire la société par actions, celle-ci peut généralement déduire la dépense de loyer du revenu au moins avec égard à la raisonnabilité de cette dépense. Ensuite, pour les coûts de construction du bâtiment, du moment que la société par actions est propriétaire du bâtiment qui constitue ainsi des améliorations locatives, elle peut en amortir les coûts.

Option 4 – La solution à plus long terme : l’emphytéose

En vertu du Code civil du Bas-Canada, l’emphytéose impliquait deux personnes : le bailleur et le preneur. Le Code civil du Québec s’écarte substantiellement de cette terminologie pour écarter le bail et impliquer le propriétaire de l’immeuble et l’emphytéote. L’emphytéose est indistinctement nommée bail emphytéotique ou emphytéose. Cette connotation de « bail » vient d’aussi loin que le droit romain. Depuis 1994, l’emphytéose n’est plus définie comme un bail et constitue encore et surtout un droit qui permet à une personne, pendant un certain temps, d’utiliser pleinement un immeuble appartenant à autrui et d’en tirer tous ses avantages, à la condition de ne pas en compromettre l’existence et à charge d’y faire des constructions, ouvrages ou plantations qui augmentent sa valeur d’une façon durable. L’acte constitutif d’une emphytéose est soit un contrat, soit un testament. Elle a une durée minimale de 10 ans et ne peut dépasser 100 ans. Mais n’étant pas vraiment un bail, particulièrement parce que l’aspect loyer est relativement accessoire, l’emphytéose est en droit civil un démembrement du droit de la propriété. Ainsi, l’emphytéote a à l’égard de l’immeuble tous les droits rattachés à la qualité de propriétaire; subséquemment, celui-ci peut aliéner son droit ou l’hypothéquer, et cela sans le consentement du propriétaire du terrain.

Lorsqu’une emphytéose est constituée à titre onéreux, la somme prévue, qu’elle soit payable par somme forfaitaire ou par versements, est considérée comme étant le produit de disposition du droit d’emphytéose ou d’une partie ou de la totalité du bien objet de l’emphytéose (AGENCE DU REVENU DU CANADA, interprétation technique, 2013-0487791E5). De plus, aux fins fiscales, les biens sur lesquels une personne a, à un moment donné, un droit d’emphytéote sont réputés être la propriété effective de la personne à ce moment-là (Loi de l’impôt sur le revenu (« L.I.R. »), al. 248(3)a)). La concession d’une emphytéose constitue une disposition pour le propriétaire puisque le terme « disposition » est défini comme incluant « tout événement donnant droit au contribuable au produit de la disposition de biens » et que « la disposition de biens inclut, entre autres, tout transfert de bien qui a pour effet de changer la propriété effective du bien ». Puisque la constitution de l’emphytéose constitue également la disposition, c’est à ce moment que cette disposition intervient et que ses conséquences fiscales sont déterminables. Selon la nature de la détention du terrain, à titre d’immobilisation ou de bien en inventaire, la concession d’une emphytéose provoque la réalisation soit d’un gain en capital, soit d’un revenu d’entreprise. En conséquence, l’imposition de cette somme ne peut normalement pas être amortie sur la durée de l’emphytéose. Cette position tranche avec le Bulletin d’interprétationIT-324 (annulé) qui prévoyait que l’emphytéose était un bail donnant lieu à l’amortissement d’un « leasehold interest » (ou tenure à bail). Toutefois, cela est conforme aux changements apportés en 1994 par le Code civil du Québec qui modifiait la terminologie utilisée et tranche par la non-utilisation du terme « bail » et en 2008 au paragraphe 248(3) L.I.R. Il convient de noter que les frais engagés par le propriétaire du terrain relatifs à l’octroi du droit emphytéotique constituent des frais de disposition.

L’interprétation technique 2013-0487791E5 est claire pour ce qu’elle dit : la constitution d’une emphytéose est une disposition, pas la concession d’un bail. En présence d’un lien de dépendance, cette disposition se fait à la JVM. L’emphytéose demeure une institution peu courante et particulière. Les intérêts en jeu doivent justifier sa mise en place.

Conclusion

Devant un bâtiment qui est construit sur le terrain d’une personne, en l’absence de toute manifestation claire d’une intention des intervenants, l’option 1 devient l’option par défaut et le risque de voir les règles d’avantage à l’actionnaire s’appliquer devient important. Par contre, si les parties ont pris la peine de choisir une autre option et que la relation réelle ne l’exclut pas, il convient alors pour les autorités fiscales de la reconnaître et de l’appliquer.

Lorsqu’un bâtiment entier est construit directement sur un terrain par une autre personne que son propriétaire, toutes les possibilités mentionnées sont ouvertes. Lorsqu’il s’agit d’un ajout à un bâtiment existant, les possibilités sont moindres. Dans tous les cas, il y a lieu de s’interroger sur les principes de droit civil et les incidences fiscales de ces transactions, qu’elles soient faites entre personnes liées ou non. La maîtrise des règles de droit civil et des différences subtiles entre celles-ci lors de la rédaction des conventions devrait pouvoir limiter les conséquences fiscales inattendues de la part de l’actionnaire et la société par actions. Par ailleurs, le meilleur des contrats doit en termes de rédaction aussi être appuyé par une comptabilité et l’indication adéquate des conséquences fiscales, afin d’éviter des situations problématiques.

 

[*] Me Julie Hélène Tremblay du Réseau Fisconseils est membre de The Society of Trust and Estate Practitioners (STEP), qui est l’organisation internationale regroupant les professionnels des fiducies et successions. À ce titre, elle est autorisée à porter le titre de TEP (Trust and Estate Practitionner) et reconnue pour ses compétences dans ce domaine. Le Réseau Fisconseils inc. est une étude juridique offrant une vaste gamme de services fiscaux et juridiques.


L’information transmise dans ce texte ne constitue pas un avis juridique. Le présent texte est à titre informatif seulement. Notez qu’il s’agit de règles fiscales complexes et qu’il est nécessaire qu’un expert révise chaque situation. Bien que ce texte soit préparé avec soin, aucun des professionnels impliqués dans la rédaction de cet article n’accepte quelque responsabilité que ce soit découlant de cet article.

* Précédemment publié dans la Revue Stratège, par l’Association de Planification Fiscale et Financière (APFF), Volume 20, No 3, 1er septembre 2017.