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Rien contre les contre-lettres (en absence de trompe-l’oeil)

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Rien contre les contre-lettres (en absence de trompe-l’oeil)

RIEN CONTRE LES CONTRE-LETTRES (EN L’ABSENCE DE TROMPE-L’OEIL)

Le droit québécois reconnaît les contrats de prête-nom, les transactions simulées et les autres contre-lettres. Qu’en est-il en droit fiscal ? Est-ce que les autorités fiscales ont l’option de choisir entre la transaction apparente et la contre-lettre, selon ce qui lui est le plus avantageux ? Est-ce que le contribuable doit tenter de tromper le fisc pour que ce dernier puisse se prévaloir du contrat apparent? Une jurisprudence relativement abondante aborde cette question. D’ailleurs, la Cour d’appel du Québec vient de rendre une décision en cette matière dans l’arrêt Caplan[1] et apporte ainsi un éclairage particulier pour ces débats. En 2006, Me Julie Hélène Tremblay a publié un article illustrant les enjeux des contre-lettres et leur reconnaissance par les autorités fiscales. Nous le reproduisons ici.

Par Me Julie Hélène Tremblay, avocate, LL.B., M. Fisc., TEP*

 

Une histoire de famille

En 1988, alors qu’il étudiait à London en Ontario en vue d’obtenir un MBA, le fils Caplan indique à son père que le marché immobilier est florissant à Toronto. Il lui recommande d’y acquérir un immeuble locatif. Le fils se porte ensuite, en 1989, acquéreur de l’immeuble locatif financé en partie par un emprunt bancaire et le solde est financé par des sommes avancées par le père, le tout garanti par deux hypothèques. Le père acquitte directement toutes les dépenses relatives à l’immeuble et perçoit les loyers. Au cours des années qui suivent, en 1992 ou 1993, le fils déménage aux Etats-Unis et laisse l’administration de l’immeuble à son père. Dès le départ, à l’égard des autorités fiscales, le père déclare les revenus locatifs et déduit les dépenses comme s’il en était propriétaire. En 1999, l’immeuble est vendu et le père réclame une perte terminale de 59 296 $. Revenu Québec cotise alors le père et lui refuse les déductions pour les pertes réclamées pour les années 1997 et 1998, ainsi que la perte terminale réalisée en 1999.

Le père conteste sans succès les avis d’opposition puis interjette appel devant la Cour du Québec. À l’audience, il apporte son témoignage ainsi que ceux de son fils et son épouse. Cette dernière s’occupait de la tenue de livres pour l’immeuble. Il tente de prouver l’existence d’une contre-lettre verbale ayant pour effet de mandater son fils pour détenir la propriété de l’immeuble pour lui. Cette entente serait intervenue pour plus de commodité, étant donné la présence de son fils à proximité de l’immeuble locatif. La mère confirme que s’il y a avait eu vente rapide de l’immeuble après son acquisition et qu’une plus-value avait été réalisée, ce gain aurait été encaissé par son mari. Son fils n’en aurait que peu ou prou bénéficié, puisque même si l’éventualité d’un petit bonus est évoquée, elle n’est pas présentée comme prévue d’avance.

Ce qu’en pensait la Cour du Québec

La Cour du Québec avait déjà eu à se prononcer dans une affaire de contre-lettre, dans l’affaire Haeck[2], où les parties à une transaction immobilière avaient convenu d’un prix de 148 750$ mais avaient convenu de mentionner un prix de vente de 175 000$ dans l’acte. Cette simulation visait à permettre à l’acheteur d’obtenir un financement plus élevé sur les immeubles acquis[3]. Se basant sur l’article 1452 du Code civil du Québec et, sur la jurisprudence et la doctrine de l’article 1212 du Code civil du Bas-Canada, la juge Côté constate que pour choisir de se prévaloir de l’acte apparent, il ne suffit pas d’être un tiers, mais en plus, il faut y avoir un intérêt. Or, lorsque le tiers est le ministre du Revenu, dans un système d’autocotisation, son intérêt est de prendre en compte les droits et obligations du contribuable tels qu’ils existent. Afin de concilier cette approche avec la décision de la Cour d’appel du Québec dans l’arrêt Dussault-Zaidi[4], la Cour distingue cette affaire en ce que «lorsque rien dans les faits ne démontre une volonté de tromper les autorités fiscales, le calcul de l’impôt dû doit se faire sur la situation réelle» et l’intérêt du Ministre «est fonction de l’impôt réellement dû» et non «d’invoquer les contrats susceptibles de lui permettre de percevoir le plus d’impôt possible». La transaction étant un cas où les parties ne visaient pas à tromper le fisc, elle avait donc été reconnue aux fins fiscales sur la base de la contre-lettre.

Dans l’affaire Caplan, la Cour du Québec avait distingué cette dernière affaire de contre-lettre des faits en cause en indiquant que le problème soulevé n’est pas le même puisqu’il devait trancher sur une question de droit de propriété et non sur une affaire de prix de vente. D’ailleurs, malgré la preuve présentée par la famille Caplan, le juge retient que le droit de propriété est détenu par le fils et que si le père « a des prétentions à faire valoir à l’égard des pertes qu’il a subies, ce n’est pas [au Ministre] d’en assumer la responsabilité mais plutôt à son mandant, soit son fils, qui était propriétaire de l’immeuble que le [père] a géré ».

Donc, selon l’analyse que fait le juge De Michele, le mandataire était le père et non le fils. Il refuse donc de reconnaître un droit de propriété au père, en raison que ce « serait très imprudent et très malsain » d’ignorer le droit de propriété du fils.

Cette qualification du père à titre de mandataire du fils plutôt que l’inverse résulte de l’interprétation que le juge fait de la preuve. Pourtant, il rapporte lui-même la preuve testimoniale non contredite des Caplan, établissant l’adhésion des parties à une entente verbale. Cette interprétation est discutable en droit. Il en est de même que la qualification de « malsaine » en regard à la reconnaissance éventuelle d’une contre-lettre contredisant un droit de propriété. Ceci est particulièrement vrai en regard du jugement de la Cour suprême du Canada rendu en 1980 dans l’affaire Victuni A.G.[5] où justement la propriété d’un terrain avait été transférée à une société qui l’avait acquis à titre de mandataire pour le compte de deux sociétés. Le juge Pigeon y constate alors « qu’en droit québécois comme en droit français, le contrat de prête-nom est une forme licite de contrat du mandat » se basant alors sur l’article 1716 du Code civil du Bas Canada (devenu 1319 du Code civil du Québec). Ainsi, à ce moment, il a été reconnu que le « vrai propriétaire c’est le mandant et l’obligation du prête-nom c’est de rendre compte au mandant et de lui remettre ce qu’il perçoit pour lui ».

Ce que la Cour d’appel en dit

La Cour d’appel du Québec considère qu’une preuve claire établit que le fils et non le père a agi à titre de mandataire. Elle considère également que la preuve, non contredite, établit que ni le père ni le fils n’ont tenté de bénéficier des avantages potentiels qu’ils auraient pu retirer de la propriété de l’immeuble par le fils (qui à l’époque était étudiant), ni qu’ils tentaient d’échapper aux désavantages de cette situation par la suite. La Cour retient même que la preuve révèle que le titre de propriété indique le nom du fils pour des raisons pratiques, puisque ce dernier étudiait dans la région où était situé l’immeuble et qu’ainsi, il pouvait s’en occuper plus facilement.

Alors est-ce que le Ministre peut choisir entre le contrat apparent et la contre-lettre en vertu de l’article 1452 du Code civil du Québec ? La Cour analyse d’abord la question de savoir si le Ministre est un tiers de bonne foi au sens de l’article 1452 du Code civil du Québec. Pour ce faire, il cite les articles pertinents, les propos tenus par le juge de première instance et un jugement de droit civil[6]. Ce jugement, constate que les tiers sont « tous ceux qui n’ayant pas figuré dans la contre-lettre, ont intérêt à invoquer les dispositions de l’acte ostensible et simulé, pour sauvegarder les droits qu’ils tiennent des parties contractantes ». Cette analyse s’éclaire à la lumière de l’arrêt de la Cour suprême du Canada rendu dans l’affaire Shell Canada Ltée[7][7].

La Cour distingue ensuite les faits de l’affaire Caplan de ceux où cette même Cour avait permis au Ministre de se prévaloir de l’acte apparent dans l’arrêt Dussault-Zaidi[8][8]. Ainsi, la Cour constate que dans l’affaire Caplan, le père n’a pas tenté de « jouer sur les deux tableaux » comme c’était le cas des parties au contrat dans l’affaire Dussault-Zaidi, puisqu’en l’occurrence, le père a systématiquement déclaré personnellement les revenus et dépenses relatives à l’immeuble en cause. La Cour analyse également l’affaire Victuni A.G.

Bien que dans l’affaire Shell, il n’y avait pas de contre-lettre en cause, elle est intéressante en ce qu’elle apporte deux précisions importantes au principe selon lequel les tribunaux doivent tenir compte de la réalité économique qui sous-tend une opération et ne pas se sentir liés par la forme juridique apparente de celle-ci. La première précision est qu’en l’absence d’une disposition expresse contraire de la Loi ou d’une conclusion selon laquelle l’opération en cause est un trompe-l’œil, les rapports juridiques établis par le contribuable doivent être respectés en matière fiscale. Le deuxième principe est à l’effet que l’examen de la réalité économique d’une opération donnée ou de l’objet général et de l’esprit de la disposition en cause ne peut jamais soustraire le tribunal à l’obligation d’appliquer une disposition non équivoque de la Loi à une opération du contribuable.

La Cour conclut en l’occurrence, qu’il ne s’agit pas d’une opération trompe-l’œil qui est préjudiciable aux droits du Ministre, étant donné que les Caplan ont adopté la même position cohérente relativement au traitement de l’immeuble durant toute la période où ils en ont été propriétaires. De plus, toutes les dépenses et les frais associés à l’acquisition, la conservation et à l’entretien de l’immeuble ont été assumées par le père et non par le fils. De plus, la Cour souligne que la position du Ministre n’était pas limpide à cet égard. Elle constate qu’il a attribué des revenus d’intérêts au père pour le montant de la mise de fonds, en considérant qu’il y avait prêt au fils, mais qu’à la suite d’une opposition, les intérêts imputés ont été annulés.

La Cour conclut donc qu’il est difficile de soutenir que le Ministre « possède l’intérêt requis pour invoquer le contrat apparent, alors qu’il ne réside aucun préjudice pour celui-ci du traitement fiscal choisi [par le père] qui se fonde sur la contre-lettre ». La Cour conclut donc qu’en l’absence de trompe-l’œil, ou de « tentative démontrée » pour jouer sur les deux tableaux, l’arrêt Shell doit prévaloir et la cotisation doit être faite en fonction de la situation juridique réelle. Ce que nous pouvons en retenir

Conclusion

Cette conclusion de la Cour d’appel dans l’arrêt Caplan est obtenue sans mentionner formellement qu’elle est rendue en raison que le Ministre n’est pas un tiers de bonne foi parce qu’il n’a pas l’intérêt requis pour choisir l’acte simulé. Cela semble toutefois s’inférer des termes utilisés puisqu’il énonce qu’il est difficile de soutenir que cet intérêt est présent dans cette affaire. Par contre, pour établir cet intérêt, le fardeau de preuve est décrit par la Cour d’appel lorsqu’elle énonce que « si la preuve avait révélé la moindre contradiction dans le traitement fiscal par le contribuable, la conclusion aurait été tout autre » et la phrase suivante indique que « chaque cas est inévitablement un cas d’espèce tout est fonction de la preuve administrée ».

Peut-on en conclure qu’implicitement donc, en l’absence de trompe-l’œil le Ministre n’aurait pas intérêt à invoquer l’acte apparent et donc ne pourrait se réclamer d’être dans la situation d’un tiers de bonne foi ? Il nous semble que cette lecture de l’arrêt de la Cour d’appel dans Caplan n’est pas déraisonnable. L’utilisation de l’arrêt Shell dans l’analyse apporte aux arguments qui sont purement de droit civil et apporte un éclairage quant au rôle particulier que le Ministre joue dans les relations contractuelles en tant que « tiers » et à son intérêt en tant que tel. De plus, ce jugement s’approche beaucoup de la synthèse des règles applicables faite par la juge Danielle Côté dans l’affaire Haeck.

 

[1] Caplan c. Québec (Sous-ministre du Revenu), 500-09-014654-040 (C.A.Q.), infirmant D.F.Q.E. 2004F-71 (C.Q.).

[2] Haeck c. Québec (Sous-ministre du Revenu), D.F.Q.E. 2002F-17 (C.Q.).

[3] Peut-être, par hypothèse, en n’ayant à emprunter que 85% du prix d’achat simulé.

[4] Québec (Sous-ministre du Revenu) c. Dussault-Zaidi, D.F.Q.E. 96F-118 (C.A.Q.).

[5] Victuni A.G. c. Le ministre du revenu du Québec, [1980] R.D.F.Q. 83 (C.S.C.).

[6] Ami du consommateur M.L. (syndic de L’), [1990] R.D.J. 302 (C.A.).

[7] Shell Canada Ltée c. La Reine, 99 DTC 5682 (C.S.C.).

[8] Op.cit., note 4.

[*] Me Julie Hélène Tremblay du Réseau Fisconseils est membre de The Society of Trust and Estate Practitioners (STEP), qui est l’organisation internationale regroupant les professionnels des fiducies et successions. À ce titre, elle est autorisée à porter le titre de TEP (Trust and Estate Practitionner) et reconnue pour ses compétences dans ce domaine. Le Réseau Fisconseils inc. est une étude juridique offrant une vaste gamme de services fiscaux et juridiques.


L’information transmise dans ce texte ne constitue pas un avis juridique. Le présent texte est à titre informatif seulement. Notez qu’il s’agit de règles fiscales complexes et qu’il est nécessaire qu’un expert révise chaque situation. Bien que ce texte soit préparé avec soin, aucun des professionnels impliqués dans la rédaction de cet article n’accepte quelque responsabilité que ce soit découlant de cet article.

* Précédemment publié dans le bulletin de la Collection fiscale du Québec par Wolters Kluwer Canada Ltée, le 1er décembre 2006

Photo par krakenimages on Unsplash.